Marc Ducret "Chroniques De La Mer Gelee"

Ce nouveau projet convoque des œuvres - ou des extraits d’œuvres - de Kafka, dont la musicalité (même traduit en français) est d'autant plus flagrante qu'elle joue sur une apparente platitude, dans un registre "documentaire" ; mais également un extrait du célèbre "Marteau des sorcières", un texte dont l'obscur auteur ne soupçonnait pas l'immense popularité qu'il obtiendrait comme manuel pratique de chasse aux sorcières pendant deux siècles - à rapprocher d'autres phénomènes de haine de masse d'une actualité constante et consternante. Les extraits de Kafka parlent de notre rapport à l'autre et de notre rejet, de notre refus de le reconnaître ou de l'accepter - même et y compris l'inconnu qui vit en nous, qu'un peu de courage pourrait laisser s'épanouir afin qu'à son tour peut-être il accepte de voir l'autre; en quoi ils sont très proches de ce texte humiliant de sottise satisfaite déguisée en affirmations pseudo-scientifiques traitant des moyens les plus sûrs pour trouver, juger et brûler un bouc émissaire toujours féminin, toujours satanique.
La voix féminine chante et la voix d'homme parle; les deux se superposent mais ne dialoguent jamais, et c'est le commentaire, touffu ou dépouillé, de l'orchestre qui oriente l'auditeur vers une écoute synthétique de ces deux discours parallèles et aussi désespérés l'un que l'autre.
Chacun des trois instruments du "choeur" - violoncelle, trombone et flûte - peut tour à tour jouer un rôle de "moteur" grave ou devenir chanteur à part entière, alors que les cordes frappées (claviers et guitare) sollicitées surtout dans leur registre percussif, "entourent" et en quelque sorte prennent en tenaille le chant et sa plainte poignante et vaine.
Kafka disait : "Un livre doit être une hache pour briser la mer gelée qui est en nous".
Marc DUCRET.